Vagues de Chaleur et Jeux Olympiques : Entretien avec Pascal Yiou
Publié sur la page LinkedIn du Generali Climate Lab le 19 juillet 2024
Bonjour Pascal Yiou, pouvez-vous vous présenter ainsi que présenter votre travail au sein du Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement ?
Bonjour Laura, je suis directeur de recherche en climatologie au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (LSCE). Mon travail consiste à étudier les extrêmes climatiques tels que les vagues de chaleur, les vagues de froid et les tempêtes. La spécificité de mon approche réside dans le développement de modèles statistiques pour analyser ces phénomènes. En effet, ces événements sont par nature rares, et nous disposons de peu d'exemples. Même en répertoriant les événements climatiques extrêmes dans les nombreuses simulations numériques, il est rare d'observer des événements aussi intenses que la canicule de 2003. Pour obtenir un échantillon représentatif de ces types de phénomènes, nous ne pouvons pas nous fier uniquement aux simulations numériques. Nous devons utiliser des modèles statistiques qui permettent de créer des échantillons beaucoup plus larges ou des méthodes issues de la mécanique statistique, qui “poussent” un modèle climatique vers des extrêmes de chaleur ou de froid.
Pour un climatologue, c’est quoi une vague de chaleur ? Peut-on la définir uniquement avec un maximum de température ?
Il existe des définitions, comme celles de l'OMS ou de Météo France, qui stipulent qu'une vague de chaleur survient lorsqu'un certain seuil de température est dépassé pendant au moins cinq jours, ce seuil variant en fonction de la région. Par exemple, les seuils ne sont pas les mêmes à Lille qu'à Marseille. Cette définition est approximative mais pratique car elle marque les esprits. Si on s'intéresse à des conséquences spécifiques, il est important de savoir de quelle température on parle : la température maximale diurne, la température nocturne ou la température moyenne. La durée de cinq jours est aussi une variable dont la gravité dépend de l’environnement.
La température maximale de la journée est généralement atteinte avec un ensoleillement maximal, ce qui peut chauffer certaines surfaces comme les voitures ou les toits. Dans ces cas, la température à l'intérieur d'une voiture ou sous un toit peut dépasser largement les températures acceptables, atteignant presque le point d’ébullition alors que la température de l'air n'est pas extraordinairement élevée.
L'étendue spatiale est également importante. Par exemple, en août 2003, il a fait chaud pendant environ quinze jours, et c'est seulement vers la fin de la période la plus chaude que les décès ont commencé à se multiplier. Entre 10 000 et 15 000 morts ont été recensés en France en très peu de temps, non pas en raison des températures élevées de jour, mais parce que les températures nocturnes ne descendaient pas sous les 20°C voire 25°C, empêchant les organismes de récupérer.
Ainsi, la température à considérer dépend des impacts étudiés.
Pourquoi est-il si difficile d’anticiper/prévoir une vague de chaleur ?
Aujourd'hui, notre connaissance scientifique et nos capacités de modélisation sont meilleures qu'auparavant.
Prévoir une vague de chaleur au sens météorologique se fait relativement bien. En 2003, avant l'apparition de la canicule en France, Météo France avait anticipé la chaleur, de même qu'en 2019, une année marquée par des records de température. Ces épisodes avaient été prévus plusieurs jours, voire une semaine à l'avance.
En revanche, savoir qu'il va faire très chaud ne permet pas de déterminer jusqu'où la température va monter. En 2021, en Colombie-Britannique et au nord des États-Unis, les températures ont approché les 50°C pendant deux jours. Quelques jours avant, on savait qu'il ferait chaud, mais atteindre 50°C était presque inimaginable. Nous observons donc des phénomènes que nous n'avons jamais vus auparavant. Jusqu'en 2002, une canicule comme celle de 2003 était possible, mais jamais observée. Maintenant, la question est de savoir si nous pouvons dépasser ce seuil de 2003. Augmenter la température de quelques fractions de degré est possible, mais l'augmenter de plusieurs degrés nécessite une combinaison de facteurs extraordinairement rares, mais possibles.
L’arrivée des JO à Paris a-t-elle eu un impact sur votre travail ?
Indirectement. Nous avons mené une étude dans le cadre du projet XAIDA (https://xaida.eu/), qui utilise l'intelligence artificielle pour attribuer les événements extrêmes. Nous cherchions des événements plus récents et emblématiques que la canicule de 2003.
Mais l'un des grands défis de l'attribution des événements extrêmes est de réagir rapidement et de pouvoir communiquer rapidement à la presse. Nous avons relevé ce défi pour les tempêtes de 2017 en rédigeant une étude d'attribution en moins d'un mois après l’occurrence de l’événement. En 2019, nous avons réussi à publier un rapport le jour même du pic de la canicule grâce aux prévisions météorologiques.
Notre nouveau défi est d'attribuer un événement non encore survenu, non prévu par Météo France : les Jeux Olympiques de Paris, prévus en plein été, une période favorable aux vagues de chaleur. Si les JO avaient eu lieu au printemps, il aurait été plus difficile d'estimer des vagues de chaleur dangereuses. En regardant la canicule de 2003, nous avons étudié les configurations pour lesquelles il pourrait faire encore plus chaud, de plusieurs degrés.
A-t-on déjà observé ce type d’évènements durant les précédents JO ?
En examinant les températures pendant les quinzaines olympiques depuis 1950, nous constatons que les seuls jeux où la température a dépassé celle de 2003 en France sont ceux de Tokyo en 2021. Pendant ces jeux, les températures ont dépassé de quelques dixièmes de degrés le record de 2003 en France. Cependant, il n'y avait pas de touristes à Tokyo en raison du confinement. Les athlètes ont décrit la chaleur comme une torture. Depuis 1950, les tendances de température pendant les JO montrent une hausse continue.
Et la répartition spatiale ? Paris fait-elle partie des villes qui ont le plus de chances de subir une vague de chaleur ? Qu’en est-il des autres sites olympiques (Marseille, Lille, Bordeaux, Châteauroux, Lyon...) ?
Notre étude s'est concentrée sur Paris et l'Île-de-France, mais les vagues de chaleur couvrent généralement une zone de plusieurs centaines de kilomètres. Donc, s'il fait chaud à Paris, il fera probablement chaud ailleurs. Il y a un gradient nord-sud : les températures très élevées sont plus fréquentes à Marseille ou Toulouse qu'à Paris. La probabilité de températures insupportables est donc plus élevée à Marseille qu'à Paris, indépendamment des vagues de chaleur extrêmes.
Et pour finir, quel serait votre conseil pour se préparer au mieux aux potentielles vagues de chaleur pendant ces Jeux olympiques ?
Nous sortons un peu de mon domaine de compétence, mais les problèmes liés à la chaleur concernent principalement l'hydratation. Il est essentiel de boire régulièrement et surtout de ne pas sortir lorsque les températures sont les plus élevées. En 2019 et 2022, lors des vagues de chaleur et de sécheresse intense, les autorités ont recommandé de rester à l'intérieur et ont suspendu de nombreux chantiers extérieurs, réduisant ainsi probablement le nombre de décès. Certaines personnes sont tout de même décédées parce qu'elles étaient à l'extérieur. Il est donc crucial de rester chez soi. En cas de nuit tropicale, où la température ne descend pas sous les 20°C, il est important de s'hydrater correctement. La climatisation peut sembler une bonne idée, mais elle réchauffe l'atmosphère environnante en refroidissant une pièce. Il vaut mieux privilégier des méthodes de refroidissement naturelles, comme se mettre à l'ombre, fermer les fenêtres et éviter d'ajouter de la climatisation là où elle existe déjà.