Réunir les assureurs pour expérimenter et déployer des solutions nouvelles de prévention du risque sécheresse.
Tribune Libre de Stephan Fangue publiée dans le numéro 135 de la Revue Risques datée septembre 2023.
Stéphan Fangue est actuaire, Membre du Comité Exécutif de Generali France, en charge de la technique assurancielle et supervise à ce titre l’activité du Generali Climate Lab. Face à l’urgence climatique et à l’accélération du risque de retrait gonflement des sols argileux qui menacent 50% du parc de maisons individuelles en France, il lance un plaidoyer pour que les assureurs s’efforcent de trouver ensemble des solutions de prévention efficientes pour éviter une dérive certaine du coût des dommages.
Le changement climatique est sans aucun doute le plus grand risque qui pèse sur la profession des assureurs et des réassureurs partout dans le monde. A l’heure où des régions comme la Californie peinent à trouver des assureurs compte tenu des épisodes successifs d’inondations, de mégafeux et que certaines régions de France sont surexposées à des épisodes violents tels les phénomènes cévenols, les mécanismes fondamentaux de notre métier sont questionnés.
Située aux confins du continent eurasiatique, la situation géographique de la France laisse craindre que notre pays subisse les effets du réchauffement climatique beaucoup plus sensiblement que d’autres régions du globe, certains experts estiment deux fois plus. Or, notre pays bénéficie de l’un des régimes les plus protecteurs conjuguant assurance privée, réassurance privée et Garantie de l’état via la Caisse Centrale de Réassurance. L’accélération de la fréquence des canicules qui fait varier la charge des sols argileux en eau, ce que l’on appelle dans notre jargon d’assureurs « RGA » pour retrait gonflement des argiles lié aux sécheresses successives est le risque qui met les assureurs français le plus en difficulté du fait de son ampleur : 10 millions de maisons sont touchées par une surexposition à ce risque soit 50% du parc des maisons individuelles selon les récentes estimations du BRGM.
L’inassurabilité de certains risques ou de certaines régions de France est aujourd’hui une crainte soulevée par les médias, agite les réflexions du secteur de l’assurance et des politiques. Mais on ne peut se satisfaire de cette possibilité ou de celle de réviser nos tarifs à des niveaux qui seraient sans doute difficile à supporter par nos clients : il convient de réfléchir aux possibles moyens d’action à notre portée pour prévenir le risque sécheresse et limiter ainsi la dérive des coûts qui parait aujourd’hui inéluctable si l’on reste dans le statu quo. Il est nécessaire de créer des scénarios car l’aléa sécheresse est sur le point de disparaitre.
1/ La sécheresse devient un risque quasi systémique
Dans son étude « Impact du changement climatique sur l’assurance à l’horizon 2050 » publiée en octobre 2021, France Assureurs a présenté son estimation de l’évolution prévisible des coûts, péril par péril au cours des 30 prochaines années : l’impact est le plus fort pour les phénomènes de sécheresse avec un montant des sinistres qui pourrait tripler et atteindre 43 milliards d’euros en cumulé d’ici 2050.
L’été 2022 nous a démontré à quel point ce risque est généralisé et met une fois de plus notre profession en mauvaise posture face à l’opinion publique. La sécheresse suscite une forte incompréhension des assurés du fait de la difficulté d’identifier les causes réelles. Ce phénomène d’ampleur est embarqué dans tous les contrats d’assurance par la Loi instaurant le régime Cat’ Nat’ de 1982 et établit une couverture assurantielle totale sous condition d’arrêté de Catastrophe naturelle. Mais les critères permettant de définir cet aléa ont changé 5 ou 6 fois depuis que le risque sécheresse est recevable au titre des Catastrophes naturelles. Et le déséquilibre est devenu structurel entre le montant des sinistres dans le seul domaine du RGA, estimé de 3 à 3,5 Mds€ par la CCR en 2022, et le montant des primes collectées sur le marché qui est deux fois moindre pour faire face aux catastrophes naturelles de toute nature !
Ce péril sécheresse est à la fois complexe à analyser et à évolution lente dans le temps. Les causes des dommages peuvent provenir des variations du sol consécutives aux retraits et gonflements des argiles mais il peut il y avoir d’autres vices : des défauts de construction, la pente du terrain ou encore à une végétation trop dense, avec des arbres plantés trop près des murs qui pompent les eaux du sol…La survenance répétée de canicules issues du changement climatique provoquent une envolée du cout de ces sinistres sans rapport avec la modicité de la cotisation en multirisque habitation, de l’ordre de 400 à 500 € TTC, d’autant que le coût moyen d’un sinistre peut atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros en cas de désordres graves de la structure d’une maison. Depuis les projets de Loi Baudu et 3DS, la charge de la preuve incombe désormais à l’assureur.
Autant de facteurs qui complexifient le métier des assureurs et mettent leurs équilibres techniques en péril. Si l’on voulait évaluer le risque de façon précise chaque fois qu’on veut assurer une maison dans des zones argileuses, il faudrait dépêcher un expert sur place. Mais le coût de cette expertise n’est pas économiquement réaliste face à une prime annuelle en Multirisque habitation d’autant que ce coût d’expertise n’est pas amortissable dans le temps face à la possibilité des assurés de résilier leur contrat chaque mois passée la 1ère année du fait des Lois Chatel (2008) et Hamon (2015).
La profession semble donc dans l’impasse face à un modèle qui ne permet pas la soutenabilité de l’assurance des maisons face au risque de sécheresse. Dans certaines régions, ce risque est généralisé à ce point qu’il en devient quasi systémique obstruant le mécanisme fondamental de mutualisation.
Il faut, d’une part, s’attacher à poursuivre la réforme du régime des catastrophes naturelles pour assurer sa durabilité dans le temps mais cela ne saurait suffire et il faut, d’autre part, explorer de nouvelles voies d’action collective pour prévenir le risque de sécheresse.
2/ Face à l’urgence climatique, le temps n’est plus aux constats mais à l’action
L’état ne peut pas tout, les assureurs ne peuvent pas tout non plus. Inutile de se renvoyer perpétuellement la balle. Il y a encore des incohérences et des vides. Des mécanismes sociétaux peuvent et doivent être activés pour prévenir ce risque face à l’urgence climatique et aux montants des dommages en jeu.
- Accroitre la prévention de la sécheresse dans les Plans de Prévention des Risques (PPR)
L’analyse du risque sécheresse n’existe encore qu’à l’échelle homéopathique rapportée au nombre des quelques 33.000 communes métropolitaines. En mai 2007, la réalisation de PPR « tassements différentiels » a été prescrite dans seulement 1 622 communes. 462 communes possèdent un PPR approuvé. Cet outil réglementaire s’adresse notamment à toute personne sollicitant un permis de construire, mais aussi aux propriétaires de bâtiments existants. Il a pour objectif de délimiter les zones exposées au phénomène, et dans ces zones, d’y réglementer l’occupation des sols. Il définit ainsi, pour les projets de construction futurs et le cas échéant pour le bâti existant (avec certaines limites), les règles constructives. Dans les secteurs exposés, le PPR peut également imposer la réalisation d’une étude géotechnique spécifique, en particulier préalablement à tout nouveau projet. Cela va d’ailleurs dans le sens de la Loi Elan qui encadre, depuis 2018, la vente de terrain à construire en imposant une étude géotechnique dans les zones exposées au phénomène de retrait-gonflement des sols et permet d’apporter un début de réponse pour le futur. Cependant elle ne règle pas le problème du « stock » des 10 millions de maisons déjà construites.
Du fait de la lenteur et de la faible amplitude des déformations du sol, ce phénomène est sauf exception rarissime sans danger pour l’homme. Les PPR ne prévoient donc pas d’inconstructibilité, même dans les zones d’aléa fort. Les mesures prévues dans le PPR ont un coût, permettant de minorer significativement le risque de survenance d’un sinistre, sans commune mesure avec les frais (et les désagréments) occasionnés par les désordres potentiels.
Quant au Fonds de prévention des risques naturels majeurs, prévu l'article L.561-3 du même code, dit « Fonds Barnier », il a vocation à indemniser les propriétaires expropriés pour risque naturel mais également à financer des études et des travaux d'aménagement et de prévention dont les collectivités territoriales sont maîtres d'ouvrage dans les communes couvertes par un PPR. Sur décision de l'État, il peut aussi contribuer au financement de mesures de prévention sur des biens couverts par une assurance contre les catastrophes naturelles[1].
Or, il est étonnant de savoir que la sécheresse est exclue du champ d’application du fond Barnier alors que c’est le risque majeur touchant le territoire de France métropolitaine.
- Eduquer les citoyens, rendre les assurés acteurs de la prévention de leurs risques
L’heure ne doit plus laisser de place au climato-scepticisme : ces phénomènes sont avérés au fil des rapports du GIEC et l’on voit bien que l’opinion publique a pris conscience des mécanismes à l’œuvre. En témoignent des mouvements comme la signature par les médias, après l’été 2022, de « chartes à la hauteur de l’urgence climatique » reconnaissant qu’ils doivent faire plus et mieux pour sensibiliser l’opinion publique ou encore l’amplitude d’actions de sensibilisation citoyenne telle la fresque du climat qui a déjà été pratiquée par 1,2 millions de personnes.
L’assurance ne peut plus être considéré comme le moyen « d’oublier ses risques ». Il devient crucial que les assurés prennent conscience de la part qu’ils peuvent prendre dans la prévention des risques qu’ils encourent, avec, bien entendu les conseils de leur intermédiaire d’assurance.
Ainsi via notre unité d’excellence dédiée à la modélisation des risques liés au changement climatique, le Generali Climate Lab créé en 2015, nous nous sommes attachés à modéliser plus finement les risques que nous avons en portefeuille en y intégrant de la technologie (géomatique), de l’open data et bientôt de l’intelligence artificielle. Transposant la connaissance que nous avons acquise via plus de 7 ans de travaux, nous avons lancé un service gratuit à destination de tous les Français de métropole : Ensemble face aux risques. Ce mini site web permet, à partir de la simple saisie de l’adresse, de connaitre l’exposition de son bien immobilier aux principaux risques environnementaux et technologiques. Ce service novateur, qui est conçu pour avertir sans être anxiogène, prodigue aussi des conseils en prévention adaptés. Cet outil a pour objectif que chacun sache à quels périls est exposé à son domicile ou encore quand il décide de l’achat d’une nouvelle habitation. Grâce aux conseils simples et rédigés dans un langage très pédagogique, embarqués dans ce diagnostic, les clients sont sensibilisés aux points de vigilance et aux bons réflexes. Le succès rencontré par ce service depuis son lancement est le signe qu’il répond à une inquiétude et, depuis, d’autres assureurs ont développé des services similaires. C’est là un travail indispensable d’éducation des assurés.
- Susciter des partenariats public-privé face à l’accélération des risques
Plutôt que chaque assureur s’organise pour déployer ses propres actions de prévention, l’avenir nous parait être au développement de partenariats public-privé à l’échelle des territoires et même en y intégrant des associations locales pour faire face avec de nouveaux moyens mais aussi de nouvelles coopérations.
Ainsi, l’on pourrait s’inspirer d’un exemple en Scandinavie où l'Autorité suédoise pour la protection civile (Myndigheten för samhällsskydd och beredskap - MSB), intervient en prévention des catastrophes naturelles. Outre les cartographies qu’elle développe pour créer une base de données pour prévenir les inondations, La MSB met également en place des groupes locaux, forums de collaboration et de coordination entre toutes les parties prenantes concernées par le bassin hydrographique d'une rivière, afin de permettre une amélioration de la connaissance des responsabilités, des rôles et des capacités des différents acteurs.
Ce type de coopération à l’échelle locale paraitrait une piste intéressante à explorer en France.
Dans ce contexte, certains assureurs tentent de prendre isolément des initiatives de prévention pour tenter de solutionner les impacts du RGA avec des leviers d’action très limités à leur échelle. Mais face à l’ampleur du phénomène qui ne va aller qu’en s’accentuant sous l’effet du réchauffement climatique et dont l’impact financier pourrait tripler d’ici 2050, il faut unir les forces de tous les acteurs de l’assurance pour arriver à une solution de prévention à large échelle qui démontre de l’efficience.
3/ Expérimenter des solutions de prévention novatrices : le projet du Lab sécheresse
C’est ainsi que différents acteurs de la profession (sociétés d’assurance, MRN, CCR et France Assureurs) se sont mis autour de la table fin 2022 pour essayer d’agir en faveur d’une meilleure prévention de ce risque afin d’entamer une démarche collective au niveau du marché. Il est aujourd’hui envisagé de créer une nouvelle structure dédiée à la recherche de solutions de prévention des effets de la sécheresse sur le bâti assuré avant sinistre et après sinistre.
Cette structure aura vocation à nouer des partenariats avec des acteurs extérieurs dont les opérateurs de l’Etat, des experts d’assurance mais aussi des industriels du bâtiment. Le travail portera sur des solutions permettant d’agir sur les causes du phénomène de RGA et non sur ses conséquences dommageables. Son budget sera mobilisé exclusivement pour des actions à fort impact.
Pour chacune de ces solutions, il s’agira d’identifier, de tester et de définir les conditions optimales d’application y compris l’aspect financier, puis d’en partager et valider les résultats au sein de la communauté des assureurs et de leurs partenaires pour, in fine, avoir des solutions « labellisées » qui permettront d’améliorer significativement la prévention ante et post sinistre.
Cela permettra également de démontrer l’implication des assureurs et leur capacité à agir concrètement dans l’intérêt de leurs assurés et de la préservation du régime catnat.
Ainsi, le Lab sécheresse devrait s’appuyer sur une méthode qui analyse successivement :
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- l’ensemble des solutions existantes en France et à l’international (portant sur l’ouvrage lui-même ou sur son environnement direct) à partir des travaux du groupe de travail Prévention sécheresse de la Missions des Risques Naturels (exemples : système anti racinaire par membrane, confinement périmétrique du bâtiment par membrane, trottoir périmétrique, reprise en sous-œuvre, injection de différentes variétés de produits dans le sol…)
- les sociotypes de maisons avant sinistre et post sinistre : 200 maisons individuelles pourraient constituer la base d’expérimentation pour déployer différents types de remédiation.
- la description des solutions et de leur pertinence/efficacité en fonction des caractéristiques du bâti, de son niveau de vulnérabilité et/ou d’endommagement
- l’analyse coût/bénéfice envisagée par solution
Viendrait ensuite une validation expertale qui permettrait la qualification technique des solutions, de leurs conditions d’application et choix des solutions à expérimenter en test grandeur nature. Cette validation serait conduite à la fois par des sapiteurs de la sphère publique (BRGM, Cerema, IFPEN, CSTB,…) et des sapiteurs de la sphère privée (experts d’assurance, labo de recherche, FFB, Bureau d’études…).
Nous estimons cette phase à 4 années avant de pouvoir passer en 5ème année à la phase de production/publication/valorisation des livrables sur l’efficacité économique et technique des solutions sur le long terme pour en faire bénéficier l’ensemble des secteurs concernés y compris les règles de l’art de la construction. Il serait enfin possible de les passer à l’échelle, pourquoi pas en partenariat avec des acteurs du secteur de la construction, et permettre aux assureurs de disposer de solutions à des coûts contenus grâce à l’industrialisation dans le déploiement de ces solutions.
Cette solution vient d’être présenté à la Cadora et doit prochainement être soumise à la validation du Comité exécutif de France Assureurs. Nous espérons que notre fédération viendra soutenir une dynamique dans laquelle les équipes de Generali France ont joué un rôle moteur aux côtés d’autres assureurs.
Face à la montée en puissance et à l’accélération des risques climatiques, le temps est compté pour trouver des solutions nouvelles de prévention. Car l’assurance ne peut se contenter d’indemniser de nos jours : elle doit de plus en plus trouver des solutions nouvelles pour prévenir les risques et convaincre les assurés de devenir des parties prenantes actives en conjuguant leurs efforts à ceux des assureurs pour préserver leurs biens.