Regards Croisés n°3 : Le risque dévastateur des crues éclair - retour à Saint-Martin-Vésubie deux ans plus tard

2 octobre 2022

Publié sur la page LinkedIn du Generali Climate Lab le 2 octobre 2022

Le 2 octobre 2020, la tempête Alex s’abattait en France causant d’importants dégâts surtout liés aux pluies diluviennes qu’elle a engendrées sur les Alpes-Maritimes. Dans la vallée de la Roya et de la Vésubie, une crue éclair et inédite a alors emporté sur son passage des ponts, des routes et 150 véhicules, détruit des bâtiments, anéanti et rendu inhabitables plus de 150 maisons à Saint-Martin-Vésubie. Ce village à 1 heure de route de Nice, surnommé « la petite suisse niçoise », a payé le plus lourd tribut au drame qui a tué 10 personnes et causé 8 disparitions. 

L’entreprise de reconstruction s’annonce très vite gigantesque : 25 à 30 km de voies à rétablir, trois ponts à remplacer (le pont Maïssa, le pont de l'entrée nord de Saint-Martin-Vésubie et le pont du Boréon), 25 ouvrages à conforter ainsi que de nombreux travaux de protection contre les éboulements à réaliser, la partie basse du cimetière du village. Estimation totale des travaux annoncée : 300 millions d'euros. 

Deux ans plus tard, les stigmates d’un village meurtri sont toujours bien visibles et l’émotion reste aussi vive.

Pour cette troisième édition des Regards Croisés du Generali Climate Lab, nous avons souhaité illustrer le caractère violent et inattendu des crues éclair en demandant à Bernard Thomas, agent Generali originaire de Saint-Martin-Vésubie, de nous raconter la trace durable qu’un tel drame laisse dans le paysage, dans les vies et dans les mémoires.

Travaux en cours sur la partie supérieure de Saint-Martin-Vésubie où se trouvait la station d’essence. En temps normal, le cours d’eau faisait 4 mètres de large sur 1 mètre de profondeur. La photo a été réalisée le 6 août 2022 par Bernard Thomas.

Travaux en cours sur la partie supérieure de Saint-Martin-Vésubie où se trouvait la station d’essence. En temps normal, le cours d’eau faisait 4 mètres de large sur 1 mètre de profondeur. La photo a été réalisée le 6 août 2022 par Bernard Thomas.

D’emblée, Bernard Thomas fixe le ton de notre conversation : « Je suis agent général depuis 30 ans, Saint-Martin-Vésubie avait déjà été frappé en 1994 et je connais bien le sujet des catastrophes naturelles… Mais lorsque vous me parlez de Saint-Martin, j’ai la chair de poule. Je ne pensais pas avoir cette réaction de nouveau. » 

Une émotion qui reste intacte deux ans plus tard

Generali Climate Lab : Pouvez-vous nous parler de ce qui s’est passé pour vous le 2 octobre 2020 ?

Bernard Thomas : Je n’étais pas sur place, mais j’ai eu des informations assez tôt sur la catastrophe, grâce à mon fils qui est pompier volontaire : ils lui ont demandé de monter dans le village dès 16h, mais c’était trop tard, la route était fermée. Si mon fils avait été là-haut, ça aurait tout à fait pu être le pompier volontaire dont nous avons appris qu’il était porté disparu et à qui j’avais d’ailleurs parlé quelques semaines plus tôt…

J’ai également vu les photos en temps réel que les pompiers se partageaient mais on n’a pu joindre personne, les moyens de télécommunication étaient coupés.

Generali Climate Lab : Qu’avez-vous pu faire ensuite ?

Bernard Thomas : Dans les 3 jours qui ont suivi, j’ai mis à disposition l’un de mes appartements à Saint-Martin Vésubie. Les gens ont été rapatriés sur Nice par hélicoptère et comme mes fils n’habitent plus à la maison, j’ai également proposé leurs chambres à ceux qui en avaient besoin momentanément. Pour cela, je suis passé par l’association dont je fais partie et qui est à Saint-Martin [Vésubie]. Mon épouse est avocate et je suis assureur, donc je me suis mis à disposition des gens pour les aider dans la gestion des sinistres, obtenir des informations juridiques. On a également participé à des collectes de vêtements depuis Nice.

Lorsque j’ai enfin eu la force de retourner dans le village de mon enfance plusieurs mois plus tard, j’ai réalisé que les pierres sur les rives continuaient à tomber sous l’effet des phénomènes d’hydratation et de déshydratation. Aujourd’hui, 2 ans après, elles continuent d’ailleurs à tomber.

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Les causes multiples d’un drame traumatique

Generali Climate Lab : Que s’est-il passé pour que la tempête soit à l’origine de tels dégâts ?

Bernard Thomas : Les anciens construisaient en hauteur pour pouvoir dominer. Le Boréon arrivait d’un côté mais, pour entrer dans le village, il y avait un pont qui franchissait la Madone des fenestres. En temps normal, le lit de la rivière était 20m en dessous du pont. Or, pendant la crue, l’eau touchait le tablier du pont. Avec l’afflux d’eau, les arbres et les pierres sont venues s’accumuler, ce qui a fait remonter le lit de la rivière de 20m. Du côté de la rue principale, l’eau dévalait tellement vite qu’elle n’avait pas le temps de s’infiltrer dans les bâtiments sur les côtés. J’ai fait plus tard des photos près du village à côté de rochers qui ont été emmenés là et font 2 fois ma taille (je fais 1m87) : on prend alors vraiment conscience de la force de l’eau.

Historiquement, le long de la plus récente des 2 routes et sous la pression des gens, des maires ont accepté de délivrer des permis de construire dans des zones exposées, ce qui a été oublié au fur et à mesure des reventes. Toutes les constructions concernées ont été réalisées plus près du lit de la rivière. Toutes les maisons qui ont disparu, ce sont celles-là !

Generali Climate Lab : Quel regard portez-vous sur ce qui a été mise en œuvre depuis 2 ans ?

Bernard Thomas : Les pouvoirs publics ont beaucoup œuvré pour que les fonds affluent. Les 2 routes pour avoir accès aux départs de randonnées, poumons économiques pour la région, ont été ainsi pu être rouvertes : l’une l’an dernier et l’autre début juillet 2022 pour les véhicules légers. Cette dernière est refermée à la fin de l’été pour la conforter et permettre aux véhicules plus lourds de passer. Le coût pour 8 km s’élève je dirais à une vingtaine de millions d’euros.

Mais la prise en charge conséquente et relativement rapide n’a pas empêché la dimension psychologique de laisser des traces dramatiques. Je pense en particulier à des personnes qui sont littéralement mortes de chagrin des conséquences de cette catastrophe. Par exemple, le propriétaire d’une grange, qui a été percutée par un chalet propulsé par l’eau, a vu son terrain réduit de 16 000m2, à 4000m2 après la tempête. Il ne s’en est jamais remis.

Generali Climate Lab : qu’avez-vous pu faire en tant qu’agent Generali ?

Bernard Thomas : Je me suis rapproché de la direction des sinistres de Generali pour connaitre la marche à suivre dans le cas d’un sinistre qu’on ne peut constater. Personne ne pouvait accéder au village pendant plus de 6 mois. Le contexte a été pris en compte par Generali et nous avons pu prendre en charge en dépit du délai de déclaration des sinistres.

« J’ai œuvré autant que je pouvais mais je n’ai plus envie de remonter dans le village. C’est trop difficile. » conclut Bernard Thomas dont l’émotion aura été palpable durant toute la conversation.

Reconstruction et prise de conscience de l’exposition aux risques

Le village est aussi devenu une des zones d’exploration majeure pour l’architecte Eric Daniel Lacombe, titulaire de la chaire « Nouvelles Urbanités face aux risques Naturels : Des abris-ouverts » à l’ENSA Paris-la-Villette, chargé par l’état depuis 2021 d’une mission de recherche. Intitulés « Aménager des territoires à risques dans un objectif de résilience par une évaluation-inventive des villages », ces travaux visent notamment à faire l’inventaire des risques et engager un processus d’exploration des transformations possibles avec l’ensemble des parties prenantes concernées.

L’architecte a ainsi indiqué cette semaine dans une interview à France Info avoir dessiné les plans d’un nouveau quartier à Saint-Martin-Vésubie dans lequel les maisons sont collées par groupe avec 45 logements au total. "On se resserre un peu, on s'éloigne du risque. On retrouve des nouvelles architectures qui ne sont ni trop petites et consommatrices d'espace, ni trop grandes et défigurant le paysage naturel." Le bord des rivières a ainsi été sécurisé : il n’est plus possible de construire à 45 mètres de chaque côté.

Alors qu’il reste à passer des plans à la construction pour faire progresser l’aménagement de ces territoires à risque, il nous a semblé utile en cette période propice aux crues éclairs de continuer à sensibiliser chacun à l’impact de situations extrêmes qui peuvent concerner chacun d’entre nous : acquérir les bons réflexes en prévention est fondamental. La première étape est sans doute de bien prendre conscience des risques potentiels liés à notre environnement pour motiver à apprendre à s’en prémunir.