Regards croisés # 2 : les feux de forêt, une menace grandissante
Publié sur la page LinkedIn du Generali Climate Lab le 10 juin 2022
La surface brûlée des forêts françaises diminue continuellement depuis 20 ans grâce aux dispositifs de lutte contre les feux de forêt déployés par la Sécurité civile qui s’attache à circonscrire la menace. Pour autant, notamment sous l’effet du changement climatique mais aussi de la pression urbaine et de la déprise agricole de ces dernières années, le risque de méga-feux s’accroît considérablement, comme nous le rappellent tristement les feux de forêt de ces derniers jours en Gironde et en Bretagne.
Même si les surfaces brûlées en France sont incomparables à celles de pays comme les Etats-Unis ou l’Australie, les « méga-feux », très médiatisés, font rage dans notre pays. Pour cette deuxième édition des Regards croisés du Generali Climate Lab (GCL), Lilian PUGNET, responsable depuis 2017 des études et projets Data Science chez Mission Risques Naturels (MRN), auteur en 2015 d’une thèse : « Vulnérabilité des interfaces habitat-forêt à l'aléa incendie de forêt » (UMR ESPACE, Université de Nice-Sophia Antipolis) a donc répondu aux questions de Quentin HENAFF, responsable d’études techniques au GCL.
Cet échange est, entre autres, l’occasion de revenir sur le rôle des zones sensibles que sont les interfaces habitat-forêt, et sur la responsabilité de chacun dans la prévention pour éviter les départs de feu ou pour limiter leur propagation.
Quentin Hénaff : En France, on constate un risque accru de feu de forêt, en dépit d’une stratégie efficace de lutte. Pourquoi ce risque accru de feux de forêt en France ? Quels sont les différents facteurs renforçant ce risque ?
Lilian Pugnet : Les causes de l’augmentation du risque sont multiples, et je veux tout d’abord attirer l’attention sur un paradoxe. La stratégie actuelle de lutte menée par la Sécurité civile, a pour but de circonscrire efficacement la surface embrasée. Cette méthode est très efficace puisque la grande majorité des feux sont éteints avant d’atteindre la surface d’un hectare et que la surface de forêt brulée en France est divisée par 2 chaque décennie. Ceci s’explique notamment par le gain d’expertise et de moyens de lutte des pompiers. Cependant, la forêt a naturellement besoin de brûler pour se réguler. En évitant de multiples feux, la forêt se densifie, la biomasse augmente, offrant ainsi un terrain idéal aux feux de grande ampleur, très dangereux et difficiles à contrôler. Cela augmente donc paradoxalement la vulnérabilité de la forêt qui peine à s’auto-réguler.
Le risque s’intensifie principalement sous l’effet du changement climatique. En effet, les températures plus élevées favorisent la transpiration des plantes et la diminution de l’eau contenue dans les sols, ce qui assèche la végétation et entraîne ainsi un risque plus fort de départ de feu. Selon les projections du GIEC concernant le territoire français, les incendies touchent une zone de plus en plus étendue. Si d’ordinaire, les territoires les plus touchés sont les forêts méditerranéennes du Sud-est et celles du massif des Landes, dans le Sud-ouest, le risque d’incendie remonte petit à petit vers le Nord. Autrement dit, les massifs de la Sologne, du Morvan ou des Vosges finiront par être également la proie d’incendies répétés.
Quentin Hénaff : Dans ta thèse, tu étudies la vulnérabilité des interfaces habitat-forêt. Pourrais-tu nous définir cet espace géographique, et expliquer en quoi ces interfaces sont particulièrement vulnérables face au risque incendie de forêt ?
Lilian Pugnet : Pour répondre à cette question, il est nécessaire de s’intéresser aux spécificités des interfaces habitât-forêt et à leur vulnérabilité. Cet espace est défini par un rayon de 100 m autour des habitations résidentielles, situées à moins de 200 m d’un massif forestier. Il constitue la zone la plus à risque pour l’homme en raison de sa proximité à la forêt. C’est également la zone principale des départs de feu : plus de 90% des feux sont d’origine humaine (les causes accidentelles et liées aux imprudences représentant plus de la moitié des causes connues). De plus, le contexte de pression urbaine et de déprise agricole de ces dernières décennies multiplie ces zones d’interfaces, ce qui ne fait qu’accroître le risque.
Lilian PUGNET, responsable des études et projets Data Science chez Mission Risques Naturels (MRN)
Le premier élément de réponse que je propose est de mieux appréhender chaque interface et ses facteurs de vulnérabilité spécifiques, car mieux on les connait, mieux on peut agir sur le risque. Dans ma thèse, la vulnérabilité est définie comme la propension à l’endommagement résultant des interactions entre trois composantes : la sensibilité intrinsèque des enjeux, leur exposition aux effets de site et la capacité de réponse de la population. Trois catégories de facteurs de vulnérabilité sont abordées :
- L’environnement autour du bâti : La topographie, l’accessibilité et la continuité de la végétation autour de l’habitation affectent la vulnérabilité du bâti. La continuité horizontale de la végétation facilite la propagation du feu en le « nourrissant » en continu, alors qu’une végétation éparse entraîne une diminution brutale de son intensité. La continuité verticale de la végétation quant à elle favorise l’accession de l’incendie aux cimes des arbres et entraîne un feu de cimes généralisé à fort potentiel de destruction.
- La conception de la maison : Les matériaux utilisés pour le bâti, la présence d’occultation au niveau des ouvertures, vont jouer sur la vulnérabilité. En effet, une absence de volets rend l’habitation plus vulnérable car les vitres n’étant pas protégées sont exposées au rayonnement et peuvent se briser.
- La capacité de réponse des habitants : La conscience ou non du risque de la part du propriétaire, l’entretien de la maison au vu de cette connaissance, les bons comportements à adopter en cas de feu et la manière dont sont disposés les éléments extérieurs (bois, bonbonnes de gaz…) ont un effet sur la vulnérabilité de l’habitat.
Ces travaux de recherche méritent d’être mieux pris en compte pour améliorer la prévention à l’échelle individuelle. Cependant, résident de nombreux obstacles à la modélisation des facteurs de vulnérabilité des interfaces habitat-forêt, chaque interface étant unique (agrégation de la végétation, hétérogénéité du mélange végétation forestière/ornementale, topographie, densité des bâtiments, matériaux, mesures de prévention mises en place…).
Quentin Hénaff : Compte tenu de la difficulté de modéliser les facteurs de vulnérabilité des interfaces habitat-forêt qui concentrent la population la plus exposée, la prévention à l’échelle individuelle s’impose-t-elle comme une réponse pour réduire l’exposition au risque ?
Lilian Pugnet : La prévention est plus que jamais nécessaire. Il existe déjà le Plan Départemental de Protection des Forêts Contre l’Incendie (PDPFCI) avec dans certains départements l’obligation de débroussaillement 50m autour du logement, ainsi que des réglementations sur les feux en plein air. Cela a pour but de protéger les biens, les habitants, et de faciliter l’intervention des pompiers compte-tenu du fait que la diminution de la quantité de végétation fait chuter l’intensité du feu. Cependant, ces plans ne sont malheureusement pas toujours respectés.
Quentin Hénaff : En tant qu’assureur, nous sommes un acteur privé pouvant apporter notre connaissance au service de la prévention, en éveillant l’attention des individus au travers de campagnes de prévention, dans une démarche gagnant-gagnant .
Nous prenons à cœur de sensibiliser aussi souvent que possible nos assurés non seulement sur le risque de feux de forêt, mais aussi sur les actions de prévention associées, aussi bien en amont de la saison des feux de forêt que pendant l’urgence.
En effet, nous rappelons chaque début d’été les gestes essentiels à adopter comme par exemple le fait d’éviter de jeter des mégots de cigarette, ou, chez-soi, de générer toute source d’étincelles les jours de risque d’incendie (temps sec et venteux). Dans le temps de l’urgence cette fois, certaines dispositions sont essentielles à la résolution de l’événement. Le fait de faciliter l’accès aux véhicules de secours ou de s’équiper d’une motopompe pour les propriétaires de piscines en sont quelques exemples, que nous nous attelons à rappeler au bon souvenir de nos assurés.
En conclusion, en France, l’augmentation du risque de feu de forêt sous l’effet du changement climatique et des facteurs anthropiques justifie l’importance d’une véritable culture du risque d’incendie qui reste à améliorer. Celle-ci concerne tout autant l’échelle individuelle, non seulement par le respect des consignes officielles mais aussi par la responsabilisation, que l’échelle collective, tant dans le temps long (planification urbaine, stratégie de lutte contre le changement climatique, plans de prévention…), que dans le temps de l’urgence.