Interview Severe Convective Storm (SCS)
Publié sur la page LinkedIn du Generali Climate Lab le 12 avril 2024
Nous entendons de plus en plus de parler des Severe Convective Strorm. À quoi correspondent-ils ? Quelle est leur origine ? Quel est l’impact du changement climatique sur ces phénomènes ?
Pour répondre à ces questions et bien plus encore, Laura HASBINI, doctorante au Generali Climate Lab, a interviewé Davide FARANDA, directeur de recherche CNRS en climatologie et chef d’Équipe ESTIMR au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement.
Bonjour Davide Faranda. Pouvez-vous vous présenter et nous parler votre travail au sein du Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement ?
Climatologue de formation, je suis directeur de recherche au CNRS (Centre National de Recherche Scientifique) et je dirige l’équipe ESTIMR (Extremes-Statistics-Impacts-Regionalization). Mon travail principal c’est d’étudier les évènements météorologiques extrêmes et de les mettre en lien avec le changement climatique. Je m’occupe notamment des cyclones extratropicaux, des cyclones tropicaux mais aussi des orages, des vagues chaleurs et des vagues de froids.
Nous entendons beaucoup parler de "Severe Convective Storm" (SCS), à quoi cela correspond-t-il ? Quelles sont leurs origines et comment pourrait-on les décrire ?
Lorsqu'on évoque ce sujet, on pense généralement à des orages très intenses. Les orages sont des phénomènes météorologiques qui peuvent être extrêmement courts. À titre d'exemple, certains orages peuvent durer quelques dizaines de minutes avec de la pluie, n’avoir que quelques éclairs, un peu de vent, sans que ça cause des dégâts. Mais parmi les orages, il y a aussi des orages qui deviennent très extrêmes. Ceux-ci qui rentrent dans la catégorie SCS. Avant de les catégoriser, il faut avoir en tête que dans les orages, il y a plusieurs aléas météorologiques qui sont associés. Donc, pour dire qu'un orage est très intense, on peut se référer à différents indicateurs :
- Est -ce qu'il y a de la grêle ?
- Est -ce qu'il y a un développement de tornades ?
- Est-ce qu'il y a eu des coups de vents particulièrement fort ?
- Est-ce qu'il y a un nombre d'éclairs exceptionnels ?
Il n'y a pas vraiment une définition précise. Tout dépendra du secteur que l’on regarde.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ces spécificités territoriales ?
On peut avoir des orages sévères un peu partout dans le monde. Les zones les plus favorisées sont celles avec une géographie plutôt plate et qui se trouvent près d 'une source de chaleur et d'humidité. Je pense notamment à l’Oklahoma et plus généralement aux “Great Plains” aux États -Unis (les États centraux des États -Unis ou même les États un peu méridionaux des États -Unis), qui sont les zones les plus célèbres pour les SCS. Pourquoi ? Parce que ce sont des géographies plates à proximité du Golfe du Mexique avec une grande disponibilité d'humidité et de chaleur qui est la base pour former les orages. En Europe, on a aussi des SCS un peu partout et notamment le long des côtes de la mer Méditerranée, des côtes atlantiques méridionales de l'Espagne, du Portugal et de la France qui présentent pendant certaines saisons, la disponibilité d'humidité et de chaleur nécessaire pour former des orages.
Y a-t-il une différence physique sur les SCS observés en Europe et aux Etats-Unis ?
Les SCS observés en Europe sont un peu moins intenses que ceux observés aux Etats-Unis, en moyenne. Mais, comme je le disais, c'est difficile de définir les différences d'intensité. Les Américains ont étudié ces phénomènes depuis longtemps car ils sont exposés aux tornades et notamment à des tornades qui peuvent impacter les grandes villes des États-Unis. On dispose donc des rapports sur ces phénomènes, des systèmes d’observation et de prévention qui existent depuis longtemps. En Europe, ces phénomènes existent aussi mais comme la densité d’habitants dans les zones centrales de l’Europe était moins importante dans le passé et qu'ils étaient toujours associés à des coups de vent et d’autres phénomènes qui n’étaient pas reconnus comme tornades, ils sont moins étudiés spécifiquement.
Vous disiez que ces évènements sont souvent associés à des vents forts et des pluies intenses, en quoi sont-ils donc différents des tempêtes hivernales et peut-on observer des SCS en hiver ?
En France, la période propice aux SCS est la fin de l’été et le début de l’automne. Mais il est tout à fait possible d’en observer en hiver, parfois même associés à des tempêtes. Les ingrédients de base pour développer les SCS, on l’a dit, sont l’humidité et la chaleur près de la surface. Mais c’est surtout la différence de températures entre la surface et la moyenne/haute troposphère (les premiers 5, 10km de l’atmosphère) qui est fondamentale pour créer la convection atmosphérique. Autre ingrédient et non des moindres : le cisaillement du vent. On parle de cisaillement du vent pour désigner une variation de vitesse ou de direction du vent selon l’altitude. Ce phénomène est très important pour développer la rotation des orages, les coups de vent très forts ou créer des lignes d’orages ou de tornades. Si ces conditions sont moins favorables en hiver, le changement climatique génère des températures plus chaudes en hiver en mer Méditerranée et dans l’océan Atlantique qui, en contraste avec un air froid polaire au nord de l’hémisphère Nord, peuvent provoquer des SCS lors de cette saison. On peut en observer en tout cas dans les latitudes plus méridionales, comme en Espagne, dans le sud de l’Italie ou encore en Grèce.
Donc les SCS sont amenés à changer avec le changement climatique. Est-ce que l’on observe déjà des tendances et est-ce que l’on pourrait avoir des évènements aussi intenses que ceux aux Etats-Unis ?
Il faut toujours distinguer deux choses : la fréquence et l’intensité. On aura toujours plus ou moins le même nombre d’orages mais ils tendent à devenir en moyenne plus intenses. On a déjà observé ces changements aussi bien aux États-Unis qu’en Europe. Nous venons, au sein de l'équipe ESTIMR du LSCE, de publier un article avec l'un de mes étudiants comme premier auteur. Lucas Fery a travaillé sur les Derechos, un type particulier de SCS en France (lien de l’article : https://doi.org/10.5194/wcd-2023-8). Il a reconstitué une climatologie de ces évènements sur les vingt dernières années et nous avons démontré que ces orages, capables de parcourir plus de 300 km avec des rafales de vent très fortes, se sont déjà intensifiés, en moyenne, à cause du changement climatique et vont continuer à s’intensifier. Avec plus d’humidité et de chaleur près du sol et à conditions atmosphériques équivalentes, on aura des conditions plus favorables au développement de la convection profonde.
On voit qu'on aura une intensification à long terme, et à court terme ? Quel est l’état de l’art sur nos capacités à modéliser ces évènements ? Arrive-t-on à les prévoir et si non, pourquoi c’est si difficile à prévoir ?
On a du mal à prévoir les SCS et on aura toujours du mal. Il y a 2 raisons : la résolution et la physique du phénomène.
Le processus de formation d’un SCS, à partir d’un cumulonimbus, est sur quelques centaines de mètres. Or les modèles météorologiques, les outils les plus fins pour les étudier, sont sur une maille bien supérieure (en dizaine de km). Une modélisation à quelques centaines de mètres serait trop fine et couteuse pour le centre météorologique, qui doit la faire tourner toutes les 3h à 6h (soit la fréquence habituelle). De plus, au niveau climatique, les maillages sont encore moins fins avec un point à l’horizontale tous les 500 km et 100 km pour les modèles régionaux.
Mais même si on arrive un jour à une résolution assez fine, il persiste un problème physique intrinsèque à la prévisibilité de la convection : elle est régie par le chaos mais aussi par les lois de la turbulence fortement dépendantes des conditions locales et initiales (atmosphériques, océaniques, ...). Cela veut dire que si on a une petite modification, par exemple de la rugosité du sol ou encore de ses caractéristiques telles qu’un champ avec plus ou moins de blé ou la présence d’un événement avec des milliers de personnes qui respirent et ont un taux d’humidité élevé, ces conditions vont peut-être changer la position ou même la formation de l’orage.
Selon vous, quels sont les enjeux majeurs en termes de recherche sur ce sujet ?
Selon moi, l’un des enjeux majeurs en matière de recherche est le fait les SCS, modélisables, sont souvent associés à des aléas non modélisables. Il est donc important de développer des modèles hybrides. Je détaille mon propos.
Certains aléas sont sur des échelles trop petites pour qu’on puisse les modéliser à ce jour : les tornades, les éclairs, la grêle, les coups de vent… Il faut rappeler qu’une tornade, c’est quelques dizaines de mètres de diamètre. Cependant les structures de grandes échelles, à l’échelle de la France par exemple, responsables de leur formation sont modélisables : pression atmosphérique, vitesse de vent moyen, humidité… On peut donc utiliser des modèles hybrides :
- L’échelle de la France avec un modèle climatique,
- Les aléas avec des modèles d’intelligence artificielle ou par des modèles statiques (entrainés sur des données observées qu’on peut faire tourner sur des conditions qu’on n'a pas encore observées).
Sur ce point, nous travaillons avec des chercheurs de Colombia à NY pour attribuer les tornades au changement climatique, c’est-à-dire quantifier l’impact du changement climatique que les tornades. Ainsi, on a déjà des résultats qui montrent qu'avec cette approche hydride où la grande échelle est représentée avec des données climatiques et la petite échelle par des modèles statistiques ou de machine learning, on peut arriver à des résultats d’attribution et, par exemple, montrer qu’on a plus de tornades avec le changement climatique. Les études sont en cours.
Plusieurs projets de l’IPSL sont justement axés sur des analyses à différentes échelles (celle de l’aléa et la météorologique).
Ce type d’évènement peut-être très dommageable, comment pourrait-on au mieux s’y préparer ?
Pour cela, il faut s’inspirer des zones du monde où il y a déjà des systèmes d’alerte rapides qui sont mis en place. Aux États-Unis, dans les états qui sont déjà concernés par les tornades, il y a des modèles hybrides de prévention et d’alerte avec des statistiques qui permettent de reconnaitre dans les images radars des satellites la possible formation de tornades. Ces modèles sont ensuite connectés avec un système d’alerte automatique, comme des sirènes ou des programmes d’alertes automatiques à la télé ou encore à la radio, avec des messages d’alerte très simples qui invitent à se protéger.
Est-ce qu’on a déjà ça en France ? La réponse est oui : par exemple, il y a des compagnies d’assurances qui ont des alertes d’orages, basées plus ou moins sur le même système de radar complété par un modèle statistique qui permet de déclencher une alerte. Pour l’instant c’est encore à l’état embryonnaire mais ça va sûrement évoluer parce qu’avec le changement climatique, la France risque de se transformer en l’Oklahoma où les SCS vont être plus intenses.
Merci Davide pour vos réponses. Votre dernier point fait échos aux travaux du Generali Climate Lab et les alertes SMS envoyées en cas d’événements majeurs (plus de détails sur l’article «Quel est le rôle du Generali Climate Lab lors des événements exceptionnels » https://www.linkedin.com/pulse/quel-est-le-r%25C3%25B4le-du-generali-climate-lab-lors-des-c5u1c/?trackingId=fSffyoboEKX28AQg%2BC5Jcg%3D%3D).